Yuji Suzuki 鈴木雄治
9 octobre 2021Shinobu Morohashi 諸橋忍
1 décembre 2021Je suis devenue parisienne, je peux passer des heures sur une terrasse de café, c’est quelque chose que je ne me permettais pas au Japon.
Je m’appelle Yoshiko Tange comme l’architecte Kenzo Tange. J’habite en France depuis 1991, je fête cette année mon trentième anniversaire à Paris. J’ai une fille de treize ans qui est née ici.
Et je suis styliste de mode depuis toujours.
J’étais déjà une styliste au Japon. Un beau jour, je suis partie à Paris avec deux petites valises, pour prendre les vacances de ma vie, me poser et réfléchir. J’avais prévu de rester deux ans, et finalement, je suis encore ici.
J’ai appris le français à l’école car j’étais fan de cinéma français. C’est donc tout naturellement que j’ai choisi Paris, plus pour la culture que pour la mode d‘ailleurs.
Lorsque je me suis installée à Paris, j’ai rencontré plein de gens dans la mode et j’ai continué mon métier de styliste. J’ai travaillé avec beaucoup de créateurs et de magazines, rencontré des gens du monde entier et découvert des cultures et des façons de travailler très différentes. C’était riche même si j’ai dû m’adapter en permanence.
Après la naissance de ma fille, j’ai commencé à travailler pour des films publicitaires. j’ai collaboré avec des agences et des réalisateurs, j’ai voyagé partout, en Europe, en Asie. C’était vraiment chouette, j’ai beaucoup aimé être derrière la caméra.
Depuis quelques années, je conseille des clients particuliers, beaucoup d’étrangers de passage à Paris. Je suis leur personal stylist, je mets à leur service toute mon expérience et mes connaissances de la mode.
J’ai été heureuse à chaque moment de ma vie, tous mes rêves se sont réalisés. Il y a toujours eu des événements et des rencontres qui ont ouvert de nouvelles voies.
C’est ce que je vis en ce moment. Avec la covid, tout a été annulé, j’ai tout perdu, plus de voyages, plus de clients.
Comme j’ai eu du temps, j’ai appris à faire du montage vidéo, ça me plait beaucoup et c’est dans la lignée de mes expériences.
J’ai travaillé aux côtés des réalisateurs, j’ai fait des mood-board, j’ai été costumière, world group stylist, j’ai fait du rédactionnel pour les magazines…. du coup raconter des histoires, imaginer un scénario je sais faire.
Tout est possible avec Internet. Je trouve très facilement des vidéastes là où j’ai besoin de tourner, après je fais les montages. On a facilement accès au monde entier, j’ai pu entrer en contact avec des compatriotes japonais aux quatre coins du monde.
Je me suis rendu compte que beaucoup de gens ont perdu leur travail, ont eu leur vie bousculée par cette crise, comme moi.
Alors, je propose mes services à ceux qui veulent se créer un nouvel avenir, plutôt des entrepreneurs japonais qui vivent aux quatre coins du monde. Je travaille leur personal branding, je les conseille sur leur image, je vais jusqu’à réaliser leurs vidéos de promotion, j’adore.
Je crois que le plus grand charme de chacun, c’est sa différence avec les autres. Cela paraît naturel pour un Français, mais pour un Japonais, c’est nouveau. Je viens d’une culture où on doit être comme tout le monde, où l’originalité n’est pas la norme.
Moi, j’ai pris goût à la liberté en France, faire comme les français, ça me parle. Alors j’ai envie d’encourager les Japonais du monde entier à ne pas avoir peur d’être différent, car c’est là la porte de la liberté.
Quand je suis arrivée en France, j’étais étonnée de voir que personne ne s’excusait. C’est assez surprenant pour un Japonais car chez nous on dit sumimasen tout le temps, c’est l’autre extrême.
Au Japon, quand on prévoit une chose, ça se passe, alors qu’ici, ça change souvent. C’était déroutant au début. J’apprécie cette façon française de vivre sur le moment. « On verra ! » est le mot le plus frenchie que je connaisse !
J’aime la France, c’est un pays solide, on trouve des monuments vieux de plusieurs siècles. L’Europe c’est la terre ferme, alors que le Japon, c’est une petite île.
Je vis à Paris parce que ma fille y est née, c’est l’endroit que je connais le mieux. J’y ai vécu plus longtemps que dans mon pays.
Je suis devenue Parisienne, je peux passer des heures sur une terrasse de café, c’est quelque chose que je ne me permettais pas au Japon. Je suis très attachée à cette ville, il y a de beaux endroits partout, comme les quais de Seine où j’ai eu envie de faire ces photos.
La vie parisienne n’est pas toujours simple mais comme je passe beaucoup de temps sur internet, ça le fait.
Être étranger est difficile mais permet beaucoup de libertés. Si j’étais retournée au Japon, j’aurais peut-être souffert de ne pas pouvoir m’exprimer aussi librement. Ici je peux faire ce que je veux, c’est ce qui me plaît.
J’aimerais témoigner ici de mon admiration pour les femmes françaises, elles sont indépendantes, très gourmandes, elles vivent à fond pour l’amour et le travail.
Vous les Français, vous pourriez être plus positifs, plus souriants et arrêter de vous plaindre. Tout le monde n’est pas tous comme cela mais quand même c’est une tendance. « Ouais, c’est pas mal » est le maximum que j’entends, je traduis alors que c’est vraiment bien.
On me traite parfois d’Américaine parce que je suis trop souriante. Le sourire est pourtant une valeur internationale non ?
Du Japon, ce sont les cerisiers et les quatre saisons bien marquées qui me manquent le plus. Ici c’est des fois l’été de l’hiver. Au Japon, la nature change de façon plus nette, et on mange différemment selon les saisons.
Je vais progressivement passer plus de temps dans mon pays, mes parents vieillissent, j’aimerais profiter d’eux. Je dois encore m’occuper de ma fille, mais petit à petit, j’irai plus souvent.
Complètement repartir, je n’y crois pas trop, ma fille est à Paris, si elle reste ici, je resterai à ses côtés. Quel que soit le lieu où j’irai, je serai une Japonaise parisienne. Le Japon, l’Italie, le Sud de la France, pourquoi pas ?
Si je devais partir, j’apporterai des macarons, des asperges blanches et du fromage. Et surtout, mon esprit libre et indépendant que j’ai appris en France.
J’ai rencontré Yoshiko lors d’un vernissage à la galerie Anthologie à Paris, nous avons pris rendez-vous, et voilà !